Vous savez, ces gens qu'on rencontre à travers les aléas de la vie avec lesquels on sent qu'on a des atomes crochus, avec lesquels on sent que que ça pourrait éventuellement aller plus loin? Je ne parle pas d'amour. Je parle d'amis avec qui l'on n'est pas encore ami. Des gens qu'on connaît trop peu pour être ami avec, qu'on ne voit généralement que dans une situation bien particulière et qu'on ne voit jamais autrement. Or, ces gens, il se trouve qu'on s'entend bien avec et qu'on serait tout à fait disposé à les voir à l'extérieur de cettedite situation, voire même, pourquoi pas, se lier d'amitié avec eux. Ces gens, je les nomme les amis potentiels.
D'ordinaire, trop gênée pour faire le pas qui ferait que nos rencontres ne se limiteraient plus à notre routine et qui nous permettrait de faire plus ample connaissance, de déterminer si cette personne pourrait oui ou non être intégrée à notre cercle d'amis, je laissais les choses se faire et les naissances de relation se faner. Cela se produisait essentiellement lorsque, d'une manière ou d'une autre, la routine dans laquelle on se voyait se métamorphosait, que je ne côtoyais plus la personne concernée et que, par conséquent, nous nous perdions de vue. La session s'achevait, ou on abandonnait le travail d'été pour retourner aux études; c'est le genre de routine éphémère à laquelle je fais référence. Acceptant que ce soit le cours des choses que de possiblement passer à côté d'une enrichissante relation d'amitié supplémentaire, je laissais le temps effacer ce qui était né entre nous, je laissais s'éteindre d'elles-mêmes les petites étincelles qui n'ont besoin que d'un souffle pour enflammer du papier et ainsi allumer un feu de camp. Vous me suivez?
Mais voilà, j'ai décidé, je ne sais pas exactement quand (en fait, je crois que même dans ma tête, ça s'est décidé de façon graduelle et implicite), que désormais, j'allais faire ce pas nécessaire au possible établissement d'une nouvelle amitié. J'allais délicatement souffler sur les étincelles déjà déposées pour les faire rougir, enfler puis communiquer leur chaleur au papier. Je ne saurais dire exactement comment il se fait que j'aie pris un telle décision. Mon hypothèse est que deux aspects de mon cercle d'amitiés, un positif et un négatif, ont été d'une grande influence sur cette résolution soudaine de passer outre à ma timidité et de faire le pas requis.
L'aspect positif, c'est que j'ai déjà vécu cette situation d'amitié potentielle. Souvenez-vous: il y a deux ans, j'ai trouvé le courage de donner à N., alors mon enseignant, une lettre lui exposant toute l'admiration que j'avais pour lui. Puis, quelques jours plus tard, je lui avais demandé la permission de lui écrire durant l'été. De cette correspondance est née une grande amitié, à telle enseigne que N. est devenu mon confident et l'un de mes meilleurs amis. Aujourd'hui, je ne sais pas ce que je ferais sans lui; je lui dois énormément et je sais que, de son côté, il a beaucoup d'estime pour moi. Depuis deux ans, pas une seule semaine ne s'écoule sans qu'on ne s'écrive des courriels qui voyagent d'une rive à l'autre du fleuve pour donner et demander des nouvelles (puisque je ne suis pas sur Facebook). Or, N., c'est l'exemple parfait du passage d'ami potentiel à ami: déjà, sur les bancs d'école, je riais à ses blagues, j'admirais sa culture, j'approuvais son jugement et son éthique, j'aimais son contact avec ses élèves et, par-dessus tout, je lui trouvais un je-ne-sais-quoi qu'aucun autre de mes profs ne possédait. Je vous le disais, à l'époque: si j'avais eu des problèmes, si j'avais eu besoin de parler à un adulte de confiance, c'est sans doute vers lui que je me serais tournée. C'était comme ça, voilà tout; j'avais détecté quelque chose en lui qui m'attirait (pas sexuellement, bien entendu), qui me donnait envie de le connaître davantage, d'échanger avec lui, etc. À la fin de mon secondaire, c'était tellement fort que ça ne m'avait pas donné le choix: fuck la timidité, je fonce, je ne veux pas faire mon deuil de lui. Et je ne l'ai jamais regretté, évidemment!
L'aspect négatif de mon cercle d'amis, cependant, c'est que j'ai l'impression qu'il s'effrite. J'ai l'impression de perdre contact avec un peu tout le monde de ma gang. C'est pas seulement le fait que mes amis étudient dans d'autres cégeps (et, bientôt, dans d'autres villes, à cause de l'université). C'est aussi qu'ils sont en couple. Ils n'ont plus d'yeux que pour leur blonde, leur chum. Bien sûr, nous nous voyons encore, nous avons la chance de nous parler de temps en temps. Mais ça n'est plus pareil: notre complicité a pâli, je trouve, on n'est plus aussi proches qu'avant. Et le fait que j'aie pris l'habitude de leur dire que ça me fait très plaisir de les voir et que j'aimerais vraiment que ça se fasse plus souvent n'y change rien: ceux aussi sont content de me voir, mais il ne seront jamais contents de voir des amis au point de ne pas aller minoucher allègrement leur âme soeur dans un coin à un moment ou à un autre de la soirée. Bref, ayant eu souvent l'impression de sombrer dans l'oubli ou l'exclusion, j'ai, je ne le cacherai pas, songé plus d'une fois à les laisser tomber et à me recréer un nouveau cercle d'amis. Mais, n'étant pas très sociable de nature, ne sachant trop par où commencer, je n'avais jamais eu le courage de mettre mon projet à exécution, et j'avais continué de me tenir avec ma gang en me disant: «Au fond, c'est peut-être ça, l'amitié: attendre, demeurer fidèle au poste, ad vitam aeternam s'il le faut, rester toujours disponible pour partager joies ou peines de l'ami qui, tôt ou tard (du moins, on l'espère), finira bien par se rappeler de notre présence et revenir vers nous...» À ce jour, je ne sais toujours pas si c'est ça que mon rôle auprès d'eux exige de moi ou si, sentant qu'on me néglige, il est justifié que je les abandonne à mon tour, même si ça ne me ne réjouit pas de voir mourir ces amitiés qui ont été, à une autre époque, ce que j'avais de plus précieux. Disons simplement que j'ai laissé cette question en suspens et que j'ai opté pour l'entre-deux: je ne laisse pas tomber ma gang tant aimée, mais je saisis les chances de me faire de nouveaux amis qui se présentent, d'où les amis potentiels auxquels je m'intéresse aujourd'hui. Pour l'instant, j'en ai quatre. Quatre personnes dans ma mire avec qui j'espère créer des liens durables.
La première, c'est R. Vous vous en souvenez peut-être: je l'avais rencontrée dans mon premier cours de français au collégial, celui d'un prof désespérant qui m'aimait bien parce que je jouais ironiquement le jeu de son ironie (c'est-à-dire que je répondais par ironie à son ironie comme si je le trouvais marrant alors que je le détestais). Cette session, on a eu notre cours de chimie organique ensemble; inutile de dire qu'on était inséparables. Je crois que ce cours nous a donné la possibilité de reprendre là où notre relation avait été laissée, c'est-à-dire de se découvrir encore davantage de points communs à travers nos laboratoires loufoques et nos cours théoriques mortels.
Pour essayer de nouer quelque chose avec R., donc, je l'ai invitée aux deux partys que j'ai faits chez moi, l'un en avril, l'autre en juin. Elle n'est venue à aucun des deux, à cause du travail, disait-elle. Je ne saurai jamais si c'était entièrement vrai, ce prétexte, mais je soupçonne qu'elle était sans doute trop gênée de venir faire la fête dans un endroit où elle ne connaîtrait que moi. Empathique pour avoir vécu une telle situation, je lui avais offert les deux fois d'inviter un ou une amie, mais elle avait quand même décliné, empêchée par le travail. Tant pis.
Puis, voilà que je lui ai envoyé un courriel, récemment, pour savoir comment se passait son nouveau travail d'été, puisqu'elle ne se connecte plus sur MSN. Pour l'instant, c'en est rendu là entre nous. J'espère qu'on gardera contact et qu'on aura de nouveau un cours ensemble cet automne.
Puis, il y a O. Lui aussi, je l'ai connu au Cégep. En fait, c'était un ami d'une amie. On a surtout fait connaissance dans un party chez cette dernière, mais peut-être (je ne me souviens pas!) nous étions-nous déjà entrevus au café étudiant auparavant. Je l'ai invité à mon party de juin; il était vachement content de me voir ainsi que mes autres amis du Cégep (on n'a pas souvent eu la chance de le voir) et puisqu'il est arrivé en premier et qu'on a été, pendant la soirée, chercher du ravitaillement à l'épicerie ensemble, on a eu le temps de renouer un peu. Il est très gentil, je l'aime bien.
À lui aussi, j'ai récemment envoyé un courriel. Il arrive tout juste de voyage, alors j'espère qu'on trouvera le temps de faire quelque chose ensemble tous les deux.
Une autre de mes amis potentiels, c'est MCO. Elle aussi, elle m'a enseigné. Par deux fois. C'était ma prof de philo en première session, peut-être vous souvenez-vous qu'à l'époque je l'avais beaucoup aimée et que le hasard avait fait qu'on avait échangé un peu plus avec moi qu'avec ses autres étudiants. Bref, cet hiver, quand ça avait été le temps de modifier mon horaire de cours, j'avais arrangé les choses de façon à l'avoir à nouveau comme prof, puisque je savais que son enseignement était intéressant, pertinent et enrichissant. Ainsi, au tout premier cours, elle m'avait fait la remarque que j'étais «de retour» et j'avais acquiescé, souriant en songeant qu'elle ne savait pas que j'avais fait exprès d'être là, qu'elle ne savait pas que je l'aimais bien. Puis, à l'épreuve finale, comme elle est soucieuse de la qualité de son cours, elle nous a passé un questionnaire d'évaluation anonyme à remplir qu'elle lirait une fois la session achevée. J'ai sauté sur l'occasion; faisant fi des grilles à cocher, j'ai profité des espaces destinés aux commentaires pour en écrire un personnalisé, qui commençait à peu près dans ces termes: «Je sais d'expérience que c'est très gratifiant pour un enseignant de se faire dire par ses étudiants qu'on l'a beaucoup aimé, alors je vous le dis: ce n'est pas un hasard si je me suis retrouvée dans l'un de vos groupes pour une deuxième session...» Vers la mi-juin, elle m'a écrit via le portail profs-étudiants du Cégep pour me remercier de mon mot (que j'avais signé, car ma pensée n'avait que faire de l'anonymat), et me dire que j'avais fait partie de ses rares «étudiants significatifs». Voilà qui explique sans doute le fait que, le jour où j'avais été lui poser des questions quant à mon texte d'épreuve finale, elle avait initié une jasette avec moi! Bref, je lui ai écrit pour lui retourner son «comment ça va?» et elle m'a répondu. Ça s'est fini là, sur une invitation à se recroiser (genre à son bureau) à l'automne. Ça me va comme ça; je tiens d'ailleurs à spécifier que je ne me cherche pas une autre amitié comme N. J'ai bien aimé MCO, c'est tout, et je ne serais pas contre l'idée aller la voir de temps en temps. De toute façon, une relation d'amitié avec elle ne pourrait jamais être comparable avec celle que j'ai noué avec N.: je n'ai pas d'immense admiration ni d'affection pour elle. Je l'aime bien, c'est tout; après tout, c'est sans doute la prof que j'ai le plus aimée en deux ans de cégep.
Enfin, mon quatrième ami potentiel, c'est D. Voyez-vous, en janvier, j'ai pris la résolution d'essayer un nouveau sport, histoire de bouger un peu de temps en temps puisque j'en avais fini avec les cours d'éducation physique collégiaux. Bref, j'ai attrapé la piqûre et je suis désormais fière de dire que je fais du Sport*. D., je l'ai donc rencontré au Sport. Nous étions tous deux parmi les débutants, mais il avait déjà fait une dizaine d'années auparavant (D. est au début de la trentaine). Au début, je parlais davantage à une dame du cours, mais quand j'ai eu à peu près acquis les bases du Sport et que j'ai commencé à fréquenter les pratiques libres, j'ai pris l'habitude d'échanger davantage avec lui. On s'est parlé de nous, il m'a raconté ce qu'il faisait dans la vie, en quoi il avait étudié, ses loisirs, ce genre de trucs. Une fois, même, il m'a proposé d'aller prendre un verre avec lui après la séance, j'ai accepté, je l'ai suivi dans sa voiture (Heureusement que j'ai pas dit à ma mère que j'avais embarqué dans l'auto d'un quasi-inconnu!) et on a été boire dans un bar pour continuer à jaser. On s'entend bien, et c'est de lui que je suis le plus proche, de tous les gens du Sport. Une fois, aussi, il m'a offert d'essayer son dada, un autre sport, à l'occasion d'un festival. J'ai accepté, y ai été avec MY et ai aimé ça, bien que j'en avais déjà fait une fois par le passé. Ça, c'était en mai. Ça a été la dernière fois où je l'ai vu, car par la suite, je ne l'ai pas revu au Sport.
Il y a quelques jours, la session de Sport étant terminée, j'ai trouvé sur Internet son adresse courriel professionnelle. Je lui ai donc écrit un message pour savoir s'il était «mort ou quoi», m'informer de lui, et lui dire que je passais non loin de son lieu de travail en me rendant au mien. Voilà quelques messages que nous échangeons et je prévois lui offrir de faire quelque chose après notre travail. Après tout, il m'a dit à deux reprises de lui faire signe si j'en avais envie. Alors je ne me gênerai pas.
Bon. En faisant le constat de tout ça, je me rends compte que deux de ces quatre amis potentiels sont au début de la trentaine. Faut croire que je m'entends bien avec les gens de cet âge même si je suis de plus d'une décennie leur cadette, car manifestement, je me lie assez facilement avec eux et ils me traitent comme quelqu'un d'égal à eux (enfin, je crois!). Ça commence à faire beaucoup de connaissances et d'amis «plus vieux» que j'ai: N. et ses amis, puis là, ces amis potentiels, D. et MCO... Étrange. Étrange que je me sente à l'aise avec des gens de cet âge, et étrange qu'ils m'acceptent bien aussi, non? Bah, ce doit être dans mes gènes: ma mère aussi a un bon nombre d'amis avec qui elle a une bonne différence d'âge! Pourtant, elle a beau se reconnaître dans ces amitiés que je commence à cultiver, ça ne l'empêche pas d'être quelque peu réticente à ce genre de truc. Évidemment, je ne lui ai pas dit que j'avais accepté de monter dans la voiture de D.: elle m'aurait fait toute une scène! :-D
Bref, j'ai hâte de voir où cela me mènera. D'amis potentiels, ces gens se verront-ils être promus au rang d'amis? Disons que je ne demande pas mieux! Je suis curieuse de voir si mes initiatives fleuriront. :-)
* Vous aurez peut-être remarqué que je parle toujours du Cégep, avec une majuscule, plutôt que de nommer l'établissement que je fréquente par son nom. Ainsi, je parlerai désormais de mes séances de sport comme du Sport. Je vais donc au Sport (au centre où ont lieu mes séances) et j'y fais du Sport (mon sport).